Wednesday, March 13, 2019

Les mythes et fantasmes entretenus par l’appareil séparatiste catalan...

Entretien exclusif avec Nicolas Klein, professeur, auteur et spécialiste de l’Espagne.

FM : L’indépendantisme catalan alimente des mythes comme celui d’un ennemi héréditaire ou encore celui d’être volé économiquement – ce qui a été invalidé à maintes reprises. Il utilise la victimisation dans sa propagande. Il aime ressusciter Franco. Pourtant, il apparaît que la Catalogne n’a pas plus souffert du franquisme que les autres régions d’Espagne. Qu’en-est-il ?

Nicolas Klein  : L’indépendantisme catalan aime en effet mettre l’accent sur la victimisation dont il aurait particulièrement fait l’objet, selon ses défenseurs, au cours de l’histoire espagnole, surtout en comparaison des autres régions du pays. Tantôt, ce sont la Castille et Madrid, dépeints comme d’horribles monstresfroids et centralisateurs, qui occupent le devant de la scène dans ce discours schématique ; tantôt, ce sont l’Andalousie et l’Estrémadure, terres méprisées car « arriérées » et plus pauvres mais aussi plus « généreusement arrosées » d’argent par l’État central, qui reviennent au premie

En réalité, d’un point de vue économique, la Catalogne et le Pays basque ont été les deux grands gagnants de la période franquiste car la dictature n’a fait que poursuivre une politique menée depuis deux siècles au moins (politique dont lesinitiateurs sont les Bourbons). La bourgeoisie catalane a été l’un des piliers matériels et financiers fondamentaux du camp nationaliste durant la Guerre civile (1936-1939) car elle était effrayée par les « rouges » et ne voulait surtout pas d’une victoire de l’extrême gauche républicaine. Elle s’est donc montrée très proche de Francisco Franco, l’exemple le plus frappant en étant sans doute l’entrepreneur Francesc Cambó, grande figure de la Ligue régionaliste dont les descendants idéologiques actuels sont Carles Puigdemont et Quim Torra.

Franco, qui savait pertinemment qu’il devait en partie sa victoire à cette bourgeoisie farouchement anticommuniste, lui a bien rendu la pareille à partir des années 50-60. C’est la Catalogne qui a été la mieux dotée en termes d’infrastructures lourdes (autoroutes, ports, pôle pétrochimique de Tarragone) dans tout le pays et elle a également bénéficié de nombreux avantages (Madrid, par exemple, n’a reçu l’autorisation d’organiser une foire internationale que des décennies après Barcelone et c’est la jeune démocratie espagnole qui lui a octroyé ce droit, pas Franco).

De fait, ce sont les Catalans et les Basques qui ont accueilli avec le plus de ferveur populaire le caudillo lors de ses déplacements en province (les images sont à ce sujet éloquentes), notamment dans les zones les plus indépendantistes à l’heure actuelle, comme Berga ou Manresa. Il faut comprendre qu’il s’agit en fait des héritières du carlisme (idéologie absolutiste, réactionnaire et traditionaliste qui s’oppose au libéralisme de Madrid à partir du xixe siècle) qui ne font que reproduire depuis lors, ce rejet de l’égalité et du projet démocratique porté par le centre du pays.

Si l’on s’en tient à la répression des nationalistes contre les républicains, selon les estimations du juge Baltasar Garzón (que l’on ne peut guère tenir pour un nostalgique du caudillo), entre 1936 et 1939, la Catalogne a été moins touchée que la région de Valence, la Nouvelle-Castille, l’Estrémadure, le León et la Vieille-Castille, la Galice ou même les Asturies, autant de provinces moins peuplées.

Après 1939, la province de Cordoue a connu des exactions bien plus importantes que celle de Barcelone, pour ne citer qu’un autre exemple frappant.

Reste la problématique du catalan, qui n’a en effet pas été promu au même titre que le castillan durant la dictature. Il n’en reste pas moins que cette langue régionale n’a pas été bannie de l’espace public : les foules passionnées qui recevaient Franco en Catalogne l’accueillaient avec des calicots en catalan. Par ailleurs, même si l’enseignement du catalan n’étaient alors pas aussi répandu qu’aujourd’hui, nombre de livres étaient officiellement publiés dans cette langue et il existait même des concours littéraires qui la mettaient à l’honneur et n’avaient rien de clandestin.

Par conséquent, la société catalane n’a ni plus, ni moins souffert du franquisme que celle du reste du pays.

FM : À contrario, l’indépendantisme catalan semble taire les années noires d’un certain Lluís Companys. Qui était-il ?

Nicolas Klein  : Lluís Companys est en effet une figure-clé de l’histoire contemporaine catalane (et, partant, espagnole). Né en 1882, il est avocat de formation et occupe brièvement le poste de ministre de la Marine de l’Espagne en 1933. Il préside par la suite la Généralité de Catalogne, de 1934 à 1940.

Il s’agit de l’un des principaux chefs de file de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), parti qui existe toujours aujourd’hui et défend l’indépendance de la communauté autonome. Exilé en France après la défaite des républicains à l’issue de la Guerre civile, il est arrêté par la Gestapo, remis aux autorités franquistes et fusillé à Barcelone en 1940. Cette fin tragique lui confère bien entendu une aura considérable dans l’univers séparatiste actuel.

FM : Quels sont les faits qu’on peut lui reprocher ?

Nicolas Klein  : L’exécution de Companys par les autorités franquistes est parvenue à éclipser dans l’esprit de beaucoup son action somme toute contestable (pour le dire gentiment) en tant que président de la Généralité de Catalogne.

Le dernier président de la Seconde République espagnole, Manuel Azaña, rapporte dans ses mémoires que Companys était partisan d’une « démocratie expéditive » (democracia expeditiva), expression qui en dit déjà long sur les convictions de ce dirigeant.

Outre le fait qu’il a proclamé l’indépendance de la Catalogne en octobre 1934 (trahissant ainsi la République), il a surtout ordonné des exécutions massives et aveugles à l’encontre de tous ceux qui avaient le malheur de ne pas communier avec ses idées. Ses massacres d’ecclésiastiques sont restés tristement célèbres, même s’il ne s’agit pas du seul secteur qui a eu à souffrir de la répression qu’il a orchestrée.

FM : Pourtant, de Lérida à Barcelone en passant par Blanes et Manresa – pour ne mentionner que ces villes –, des rues portent son nom. Comment est-ce possible ?

Nicolas Klein  : Toutes les nations ont besoin de références mythiques et de légendes fondatrices. Au même titre que Rafael Casanova, Francesc Cambó ou Enric Prat de la Riba, Lluís Companys figure dans le panthéon des « héros » qui ont lutté pour l’indépendance et la « liberté » de la Catalogne, tout du moins si l’on considère les choses avec le regard des séparatistes.

Il convient, dans ce contexte, d’éviter de souiller leur nom et leur réputation. La Généralité a donc mis sous le tapis tout ce qui pouvait la gêner chez de tels personnages au nom du combat pour la construction d’une réalité nationale catalane qui se veut radicalement opposée à la réalité nationale espagnole (ou à ce que les sécessionnistes en perçoivent). Elle n’en est de toute façon pas à une manipulation près…

http://leblogdefrancoismeylan.blog.24heures.ch/archive/2019/03/12/les-mythes-et-fantasmes-entretenus-par-l-appareil-separatist-867087.html
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